L’envie d’aller vers l’autre, ça paraît absurde et c’est pourtant ce que je suis en train de vivre au cœur de la plus grande course en solitaire qui soit: le Vendée Globe. Un constat d’échec qui m’a amené à troquer ma casquette de skipper d’équipages valides/handicapés ou d’hommes et femmes tous différents pour celle de solitaire.
Depuis quinze ans je m’acharne à démontrer preuves à l’appui en quoi nos différences peuvent être la clé de l’innovation, de la performance et du bonheur collectif si l’on s’en donne les moyens. Moi qui déteste les cases, l’on m’a mis sans que je m’en aperçoive dans celle de la diversité. Celle qui exclut d’office, où l’on met tous ceux qui n’ont pas «la chance» de ressembler superficiellement à la norme en vigueur dans notre société. Une norme à station verticale, masculine, blanche pas trop vieille et pas trop jeune. Pourquoi parler de diversité. Ça ne rime à rien, car nous sommes tous différents!
Le port de l’habit du capitaine au grand coeur
Moi qui voulais parler management, performance et collaboration en racontant les échecs autant que les succès, je me suis retrouvé invité par les entreprises uniquement lors de la semaine du handicap devant de maigres assemblées de convaincus où je recevais invariablement le prix coup de cœur inventé à la hâte par un jury de festival parce que «quand même il faut leur donner quelque chose à ces pauvres handicapés…». Autant vous dire que le constat fut amer. On ne m’écoutait pas. Quinze ans d’énergie folle dépensée pour ouvrir les yeux sur la différence pour rien ou si peu. Comme dans des sables mouvants, plus je me débattais pour exprimer une pensée pragmatique et porteuse de valeur pour tout le monde plus on me faisait porter l’habit du capitaine au grand cœur.
Les bons sentiments sont un drame quand on traite de la différence. Ils nous focalisent sur nos différences visibles en nous détournant de nos possibles ressemblances invisibles.
Il me fallait prendre tout ce joli monde à revers. Faire quelque chose qui attire l’attention. Le truc le plus atteignable et le plus médiatique c’était le Vendée Globe. C’était alors une pure folie. Je ne suis pas un grand navigateur et je n’avais jamais fait de solitaire de ma vie. Mais je caressais l’espoir qu’en arrivant avec la panoplie du héros du navigateur solitaire, les gens s’assoient et m’écoutent véritablement. Je me suis donc lancé en 2014.
En un an, quatorze entreprises mécènes se sont associées à COMMEUNSEULHOMME. Leurs salariés ont été invités à naviguer sur le bateau. Ils viennent tout d’abord pour rencontrer l’aventurier et sa monture, mais repartent ensuite fiers de voir leur entreprise impliquée dans une telle démarche. COMMEUNSEULHOMME n’est pas logoté au nom des entreprises. Ce n’est le bateau de personne mais au contraire, c’est le bateau de tout le monde. Les 80 000 collaborateurs des quatorze mécènes peuvent tous dire «c’est notre bateau !».
Exulter en équipe
Depuis un an et demi, j’ai touché plus de gens qu’en quinze ans de témoignages. Et principalement des décideurs, des recruteurs, des comités de direction et enfin tous ceux qui ne vont pas à la «semaine du handicap». C’est au cœur des événements les plus forts de ces sociétés que je m’exprime désormais. Les présidents m’invitent à prendre la parole devant leurs salariés réunis souvent pour la première fois. Un des mécènes a troqué ses anciennes valeurs pour les remplacer par les principes d’action de COMMEUNSEULHOMME: oser la différence-faire confiance- innover par la contrainte- viser la performance collective- exulter en équipe.
Le succès est au-delà de mes espérances. Le message sur la différence est enfin sorti de la foutue case «diversité». On en parle aujourd’hui comme d’un facteur clé d’innovation, de réussite et de bonheur collectif. Mon premier objectif est atteint. Mais je ne compte pas m’arrêter là!
En parallèle, il a fallu se préparer pour faire la course. Michel Desjoyeaux a pris le projet sportif sous son aile et une belle équipe a vu le jour. Nous sommes arrivés sur le village du Vendée Globe fin octobre, et depuis COMMEUNSEULHOMME attire l’attention. Un bateau qui n’a rien à vendre sur une course où se précipitent les banques, mutuelles, industries agroalimentaires ou autres ça saute aux yeux. Le public et les médias s’attachent à l’aventure. La page Facebook a bondi de 7 000 à 35 000 fans. Le ton séduit et le discours fait mouche, et surtout il est partagé. Les followers s’expriment sur la différence, il n’y a pas que moi qui déteste le mot «diversité» ! L’appel que nous avons lancé sur appelpourladifference.org prend de l’ampleur.
L’aventure de la différence
Si c’est avec les ressemblances invisibles que l’on crée de grandes équipes, c’est avec elles aussi qu’on fédère une nation. Aujourd’hui en France, pour contrecarrer les discours de haine et de peur qui pullulent, nous n’avons dans notre arsenal malheureusement que des discours angéliques stériles. Le problème, c’est que peu de monde ose vraiment la différence, car c’est ce qu’il y a de plus difficile à faire fonctionner. Travailler avec des profils différents exige du temps et de l’énergie, parfois aussi des conflits, pour créer des codes communs. Les discours niant les difficultés sont pires que les discours de haine et de peur parce qu’ils les nourrissent insidieusement. Nos responsables politiques, par exemple, sont bien à la peine avec la diversité source de richesse, car dans les faits ils cultivent savamment l’entre-soi.
COMMEUNSEULHOMME est la voix humble de celles et ceux qui tentent l’aventure de la différence tous les jours sans être bloqués par la peur de se tromper. Nos différences, si nous y mettons une volonté farouche et pragmatique, est la seule voie pour que nous soyons heureux collectivement. Et c’est sans doute la plus belle des aventures.
Le 23 novembre 2016,
par 16° 54’ 37’’S | 28° 30’ 08’’W
NB. Je suis dans ma troisième semaine de course et tout va bien à bord.
Initialement publié dans Libération