Quel Indien ! Après un mois de course, j’y suis enfin et sa réputation n’est pas volée. Le vent est fort mais surtout, il est très irrégulier et peut passer du simple au double, de 20 à 40 nœuds sans le moindre signe avant-coureur. La semaine dernière, j’ai eu des rafales à plus de 50 nœuds et mon bateau s’est couché à deux reprises. L’un de mes safrans s’est cassé sous la violence de l’impact et j’ai longtemps cru que la course était terminée. Faire un remplacement de safran en pleine mer est une manœuvre périlleuse, bien plus compliquée que tout ce que j’ai pu faire jusqu’à maintenant.
Ici, quand la mer est calme, il y a encore des creux de 4 mètres et je n’avais fait cette manipulation qu’au port, avec toute mon équipe. Le principal problème a été de retirer le safran abimé. Ça a été un vrai combat de plus de huit heures mais je suis super content de l’avoir fait car je me suis vu 100 fois appeler la direction de course pour annoncer mon abandon. Au lieu de ça, je suis encore là, avec un bateau en bon état. C’est la grande leçon de la semaine, il ne faut jamais baisser les bras. J’ai eu mes problèmes mais tout le monde en rencontre à un moment où à un autre et j’ai une pensée particulière pour Kito qui a dû abandonner son bateau. On ne peut pas imaginer pire situation, ça fait froid dans le dos. Faire de la voile en solitaire est une folie mais le faire dans ces mers, c’est une aventure totale !
A bord, je me sens de mieux en mieux. Je ne dirais pas que j’ai trouvé mes marques mais je me sens de plus en plus capable de le faire, d’aller au bout de ce tour du monde. J’ai de plus en plus confiance en moi et j’évite à tout prix de me comparer. Ça veut dire que je ne regarde plus les classements et que je ne cherche pas à savoir comment ferais untel ou untel à ma place. Je fais à ma manière et ça me libère énormément. Cela permet de se féliciter de certaines choses et de ne pas toujours être dans la comparaison.
J’ai de plus en plus confiance en moi et j’évite à tout prix de me comparer. C’est une attitude qui fonctionne en mer mais qui est aussi valable à terre. On passe son temps à se comparer, en particulier sur les réseaux sociaux. Quelle perte de temps.
Dès demain, je vais devoir faire le dos rond car la dépression qui s’annonce est sérieuse avec des vents à plus de 60 nœuds. C’est la plus grosse que je rencontre depuis le départ. Je choisis de la passer au nord des Kerguelen. Cet archipel du bout du monde me fascine mais il faudra que je revienne dans d’autres conditions pour le visiter car je ne vais pas en voir grand-chose cette fois-ci. Cette route est un peu plus longue mais ce n’est pas grand-chose à l’échelle d’un tour du monde. Si tout se passe bien, la semaine prochaine, je serais près du Cap Leuwin. C’est le cap qui me manque, le seul que je n’ai jamais passé et il est en Australie, un pays cher à mon cœur. Je serais vraiment très heureux quand il sera dans mon tableau arrière. Avant cela, il me reste la moitié de l’Indien à traverser et cet océan ne s’offre pas au premier venu.
Eric Bellion
Tribune publiée pendant le Vendée Globe pour le partenaire « La Croix »