Aujourd’hui, je vais passer le Horn. Rien que de le dire, soulève en moi des émotions énormes. J’ai l’impression de l’offrir à cet ado que j’étais et qui en rêvait dans son lit après avoir regardé les « Révoltés du Bounty ». Je quitte le Pacifique et ses albatros et je ne sais pas quand je reviendrais ici. C’est une joie immense et en même temps une nostalgie profonde. J’ai savouré chaque minute passée dans le Pacifique, mais je me réjouis aussi de bientôt retrouver des conditions maniables et un peu de chaleur. La vie à bord n’a rien de simple. Il fait froid, tout est trempé et les conditions peuvent parfois être horribles. La nuit dernière, j’ai encore eu des grains à plus de 50 nœuds et des vagues énormes. Une vague est même rentrée dans le cockpit et a déclenché mon gilet de sauvetage, comme si j’étais tombé à l’eau !
Le Horn se mérite. On a beau être en 2017 et pouvoir aller où on veut d’un coup d’avion, il reste l’endroit avec un grand « E ». Même ces derniers milles sur le Pacifique sont une épreuve et je ne suis pas près d’oublier cette journée. Je n’ai quasiment pas vu la terre depuis le 6 novembre alors je me régale de ce roc de pierre sombre, massif et le franchir est un accomplissement absolu.
On dit que le Vendée Globe est un Everest, dans ce cas, le Horn en est son sommet et je remercie le Pacifique de m’avoir laissé passer. C’est fou d’être ici après 70 jours passés en solitaire, rien n’est comparable ! Tout ce que j’ai fait, c’est pour arriver ici et la route qu’il me reste vers Les Sables-d’Olonne est longue, mais pour moi elle ressemble à une marche vers le camp de base. Le plus dur est fait.
J’ai souvent rêvé de cet instant, mais j’ai aussi souvent douté. Il y a eu l’avarie de safran qui a sans doute été le moment le plus critique, mais il y a eu de gros coups de blues, ces moments où l’on a l’impression que l’on n’y arrivera jamais et ils sont plus nombreux qu’on ne le dit. C’est rarement quand on est au fond du trou que l’on envoie une vidéo ! Malgré ça, j’ai pris les milles les uns après les autres et aujourd’hui, j’en ai parcouru 17 000. Tout ça prouve que nos ressources sont inépuisables.
Je ne suis pas un super héros. Je suis un marin qui a fait de son mieux. Je n’ai jamais cherché à me montrer plus fort que je n’étais et c’est cette honnêteté qui me permet d’être là aujourd’hui, d’accomplir mon rêve et de porter toujours plus haut ce message sur la différence. Aujourd’hui, j’ai appris qu’il était de plus en plus repris sur les réseaux sociaux. Un classement a été établi et le projet fait partie des plus cités, derrière Le Cléac’h et Alex Thomson.
En principe, je ne m’intéresse pas trop aux classements, mais celui-ci me réjouit, car ce n’est pas le mien, c’est celui de tous ceux qui pensent commeunseulhomme.
Eric Bellion, le 13 janvier 2017