Quand on s’engage dans une relation, qu’elle soit professionnelle, amicale ou amoureuse, la confiance en l’autre constitue la base de la réussite et du bonheur durable. Mais une relation constitue toujours une aventure… Or, dans toute aventure, il est important de trouver un équilibre entre la vigilance et l’insouciance. Et la confiance ne peut qu’être le fruit de l’assemblage entre ces deux éléments contradictoires.
Se lancer dans l’inconnu requiert de se montrer extrêmement vigilant à l’égard de ce sur quoi on a la main. Un marin comme moi se doit d’être attentif à sa condition physique, à ses compétences techniques et à la préparation de son bateau. En revanche, il lui faut lâcher prise sur ce qu’il ne maîtrise pas. Ce constat, je l’ai fait à l’occasion du Vendée Globe. Pendant les premières semaines de course, je mettais beaucoup d’énergie à craindre les événements sur lesquels je n’avais aucune prise, comme les tempêtes. J’étais guidé par la peur de ce que je ne contrôlais pas.
Et puis il y a eu un déclic.
Le 6 décembre 2016, alors que je me trouvais dans l’océan Indien, un énorme grain a couché mon bateau. Sous la violence du choc, le safran tribord s’est brisé. Remplacer un safran, je l’avais déjà fait… Mais seulement au port, avec l’aide de cinq personnes de mon équipe ! En revanche, effectuer cette opération seul, dans la grande houle de l’océan austral, cela me paraissait hors de portée. Et pourtant… J’ai passé huit heures à sortir le gouvernail endommagé et deux autres à mettre en place le safran de rechange. Ce jour-là, j’ai compris que j’avais des ressources infinies et que je pouvais me faire confiance. Dès lors, j’ai décidé d’agir et de ne plus subir.
Vigilance + insouciance = confiance
Jusqu’ici, tandis que les skippers les plus expérimentés se servaient de la puissance des grosses dépression australes pour accélérer, je faisais le dos rond en attendant qu’elles s’éloignent. Mais après cet épisode, j’ai décidé d’essayer de ‘’surfer’’ moi-aussi une tempête. C’était épique, le vent soufflait à plus de 60 nœuds! Malheureusement, au bout de quelques heures, j’ai de nouveau eu un problème technique : mon générateur est tombé en panne. J’étais en danger, car il m’était impossible de barrer sans l’énergie électrique qu’il procurait au bateau. Durant toute la nuit du 15 au 16 décembre 2016, j’ai tenté de le réparer. Au petit matin, miracle, le générateur a redémarré.
Quand je suis sorti sur le pont, le spectacle était dantesque… je n’avais jamais vu une mer aussi déchaînée !
C’est à cet instant que j’ai réalisé que, au cours des heures qui venaient de s’écouler, je n’avais pas du tout surveillé mon bateau. Il avait néanmoins fait un job extraordinaire : pendant des heures, il avait été couché par les vagues, il avait accéléré dans des surfs invraisemblables et il s’était relevé à chaque fois.
Quand j’ai compris que je pouvais à la fois me faire confiance et lui faire confiance, je suis entré dans un état de grâce qui a duré 31 jours…
Ces deux épisodes ont fait naître en moi cette intime conviction : dans la collaboration avec l’autre, il est impératif de trouver le juste équilibre entre la vigilance et l’insouciance. Certains managers dépensent une énergie folle à contrôler leurs collaborateurs, comme je l’ai fait en surveillant mon bateau à chaque instant. En réalité, avec de tels comportements, on bride l’autre ! Et il ne peut exprimer son potentiel que lorsqu’on a pleinement confiance en lui et que, par voie de conséquence, on réussit à se montrer insouciant à son égard.
Pour faire naître la confiance, il est donc impératif de placer le curseur au bon endroit. En se montrant exclusivement insouciant, on fait naître une relation de doux rêveur qui conduit droit dans le mur ; parce que la confiance ne se donne pas, elle s’éprouve. En étant uniquement vigilant, on paralyse l’autre ; faute de pouvoir s’exprimer, il finit par démissionner.
Comparaison n’est pas raison
Comme toujours dans la démarche COMMEUNSEULHOMME, ce principe ne relève en aucun cas de l’angélisme. Parce qu’accorder sa confiance à l’autre, c’est toujours difficile. La première tentation de chacun d’entre nous, c’est de formater celui avec lequel on envisage de travailler. Or, nous avons tous tendance à nous considérer comme le mètre-étalon idéal et à comparer l’autre à ce que nous sommes. A juger de ses compétences à l’aune des nôtres. Adopter pareil comportement, c’est refuser de lui faire confiance et, par-là, lui ôter sa dignité ! C’est le meilleur moyen de torpiller une relation…
Voici quelques semaines, j’écoutais la rediffusion d’une passionnante émission de radio – ‘’La tête au carré’’, sur France Inter, pour ne pas la nommer – dans laquelle un éthologue ne disait pas autre chose. Il expliquait que l’être humain a souvent tendance à être émerveillé par les animaux à la seule condition qu’ils adoptent un comportement humain. Nous sommes fascinés par un gorille s’exprimant en langage des signes ou par un chien reconnaissant les émotions sur le visage de son maître. En revanche, cela nous laisse froid d’apprendre que les chauves-souris se repèrent dans l’espace grâce aux ondes qu’elles émettent, parce que c’est une qualité dont l’homme est dépourvu. Pourtant, c’est extraordinaire !
Comparer l’autre à soi-même est totalement improductif. Dans ma vie de marin, je ne peux pas demander à ma goélette d’aller aussi vite et d’être aussi légère que mon Imoca. Il me faut la préparer correctement, puis la laisser s’exprimer afin de voir ce qu’elle peut m’apporter. Il en va de même dans une collaboration en entreprise : formater un collaborateur, c’est refuser l’aventure de l’autre.
S’entendre sur l’essentiel
Mais une fois encore, aucun angélisme dans ce que j’avance. Parce qu’il y a un préalable indispensable à toute collaboration : avant même de commencer à travailler ensemble, il est essentiel de bâtir de concert un fondamental commun. De vérifier si les deux personnes concernées par la relation partagent le même objectif et perçoivent les mêmes enjeux. Et cela requiert un travail énorme de communication.
Le premier exemple qui me vient à l’esprit, c’est ma collaboration avec Olivier Brisse. Olivier est aveugle et cela ne l’a pas empêché d’être le meilleur barreur du bateau sur le Défi Intégration, que nous avons réalisé ensemble en 2009-2010. Pourtant, cela n’a pas été simple… Nous avons beaucoup travaillé avec lui pour traduire en sensations ce que disaient les cadrans du bateau. Cela nous a demandé énormément d’énergie. Nous avons souvent répété les informations et il a fait de nombreuses erreurs. Mais dès que nous sommes parvenus à définir et à respecter ce référentiel commun, il a excellé dans les tâches qui lui étaient assignées. Et l’ensemble de l’équipage lui a fait une confiance absolue.
Aller voir comment des êtres humains ayant une culture différente de la nôtre donnent leur confiance, c’est l’un des objectifs que nous avons assigné à nos explorations à venir.
Découvrir la manière dont ils définissent leur fondamental commun, comment ils mettent en place leur vigilance, quels sont leurs secrets pour devenir insouciant et, finalement, comment ils éprouvent la confiance placée en l’autre. Par exemple, nous avons déjà l’intuition que la palabre, telle qu’elle est pratiquée à travers le monde dans de petites communautés rurales, est un acte de vigilance, d’insouciance et, pour finir, de confiance. Parce qu’elle permet à chaque membre de la collectivité de comprendre les enjeux, de se sentir investi et d’adhérer totalement à l’objectif commun. Nous en avons l’intuition, mais nous tenons à le vérifier par nous-mêmes. Bien entendu, chacune de nos découvertes sera relatée aux personnes qui suivent COMMEUNSEULHOMME.
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Eric.