Inutile de se voiler la face : se lancer dans une nouvelle aventure, c’est forcément être confronté à des difficultés inédites. Chaque saut dans l’inconnu suscite son lot de coups durs, c’est même sa première caractéristique ! Le problème, c’est que sitôt le premier gros obstacle rencontré, le réflexe de la plupart d’entre nous est de céder à l’accablement. De vouer le destin aux gémonies, de déplorer un mauvais karma, de pointer du doigt la poisse. De baisser les bras, parfois. N’est-ce pas humain, après tout ? Et pourtant…
Quiconque désire faire deux pas dans le noir doit bel et bien se convaincre que la difficulté est inhérente à l’aventure. Sortir de sa zone de confort, c’est obligatoirement se voir confronté à des problèmes.
Par le passé, j’ai moi-même dépensé beaucoup d’énergie à m’agacer de chaque difficulté rencontrée. A manifester mon incompréhension, à remettre en question mon projet. A me demander ‘’pourquoi’’ (pourquoi moi ? pourquoi aujourd’hui ? pourquoi ici ?), plutôt que de chercher ‘’comment’’ m’en sortir. Mais quelques semaines avant le Vendée Globe, j’ai vécu un moment déterminant qui m’a conduit à me ‘’paramétrer’’ différemment.
Innover par la contrainte
Avant de me lancer dans cette aventure, j’avais voulu prendre conseil auprès du vainqueur de l’édition précédente, François Gabart. D’emblée, il m’a expliqué que le Vendée Globe n’était pas une course de vitesse, mais une épreuve par élimination dans laquelle la psychologie était déterminante. Il m’a démontré que, quel que soit son niveau de préparation, chaque skipper endurait pendant la course des problèmes de toute sorte. Des problèmes techniques ou physiques qu’il devait résoudre au plus vite, pour ne pas qu’ils le submergent aussi sûrement qu’une vague déferlante. Et François Gabart m’a assuré que ce qui faisait la différence, c’était l’état d’esprit du skipper : le choix qui s’offre à lui, c’est de considérer chaque difficulté comme une barrière infranchissable ou bien comme un tremplin qui lui permettra de se révéler.
Grâce à cette discussion, j’ai reconfiguré mon état d’esprit. Je me suis préparé à vivre chacun des aléas de la course. Je savais que je connaîtrais des coups durs, mais je me disais que, dans le fond, j’étais là pour cela : quand on saute dans l’inconnu en pleine conscience, on ne doit jamais oublier qu’on va consacrer beaucoup de temps à s’extirper de la difficulté ! « La liberté, c’est la faculté de choisir ses contraintes », avait coutume de dire le comédien Jean-Louis Barrault. Or, c’est sous la contrainte que naissent souvent les solutions les plus innovantes. Parce que celui qui est confronté à un problème n’a pas le choix : s’il veut s’en sortir, il lui faut impérativement faire preuve de l’esprit pionnier qui lui permettra d’imaginer une solution.
Cet état d’esprit pionnier, je le recherche systématiquement chez mes équipiers. Comment pourrais-je sauter dans l’inconnu à leurs côtés si je n’étais pas certain qu’ils connaissent le prix à payer pour se lancer dans une aventure ? Qu’ils ont conscience des difficultés à venir ? Le repérage de cet état d’esprit pionnier est même un facteur décisif de recrutement, sur un bateau comme au sein d’une entreprise !
D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle le recrutement d’un équipier ne peut se limiter à un simple entretien d’embauche. Un candidat ne peut se contenter d’affirmer qu’il a un état d’esprit pionnier ; encore faut-il qu’il en fasse la preuve à l’occasion d’une phase de test. A cet égard, la période d’essai constitue un moment essentiel, que les recruteurs mettent selon moi insuffisamment à profit. Pour le manager, c’est le meilleur moyen d’éprouver la capacité du candidat à tenter de résoudre les problèmes auxquels il est confronté. Et pour le candidat, c’est une façon de vérifier que son manager cultive lui-même cet état d’esprit pionnier. Et que, en conséquence, il peut avoir confiance en lui.
De l’importance du leadership
Dans l’avènement et la préservation de cet état d’esprit pionnier, le leader a en effet un rôle crucial à jouer. C’est à lui de rappeler à ses équipiers que la difficulté est inhérente à toute aventure. C’est à lui de relativiser les problèmes, de transcender l’abattement et de chercher quelles peuvent être les solutions. C’est à lui qu’incombe la responsabilité de ne pas laisser les coups durs entraîner son équipage dans une spirale négative.
Souvent, je pense à Ernest Shackleton, ce marin anglais qui, en 1914, partit à bord d’un navire d’expédition pour tenter d’atteindre le pôle Sud. Très vite, son bateau s’est retrouvé piégé dans les glaces de l’Antarctique, avant d’exploser sous la pression. Shackleton et ses 28 hommes d’équipage ont alors commencé à se déplacer sur la banquise, en trimballant leurs chaloupes. Au bout de plusieurs semaines, ils se sont retrouvés sur une île inhabitée et peu hospitalière de l’archipel des Shetland. Avec un équipage réduit à six hommes et à bord d’un simple canot de sauvetage, Shackleton a alors entrepris de faire les 800 milles nautiques qui le séparait de la Géorgie du Sud, une île sur laquelle il savait qu’il trouverait du secours. Et après cette traversée, probablement la plus mythique de l’histoire de la navigation, il est revenu chercher les hommes qu’il avait laissés derrière lui, dans les Shetland. Tous avaient survécu.
Pendant les 22 mois qu’a duré cette aventure, Ernest Shackleton s’est comporté en leader doté d’un formidable esprit pionnier. Il ne niait pas les terribles problèmes auxquels il était confronté au quotidien, bien entendu, mais il s’employait à les régler. Surtout, il forçait son équipage à imaginer la suite, à préparer sa prochaine expédition. Selon lui, ils allaient forcément s’en tirer. Il est parvenu à insuffler auprès de ses hommes une force de caractère hors du commun. Une histoire inspirante, non ?
Dans l’avènement et la préservation de cet état d’esprit pionnier, le leader a un rôle crucial à jouer
L’humain, cet inconnu
Mais ce sont d’autres aventures maritimes qui m’inspirent aujourd’hui. Les quatre voyages de Christophe Colomb dans les Caraïbes… Les expéditions qui conduisirent Basques et Vikings à découvrir le Canada et le Groenland… C’est dans leurs traces que je veux désormais m’inscrire. Après la Route du Rhum, à laquelle je participerai en novembre prochain, Marie et moi-même dirigerons donc la goélette COMMEUNSEULHOMME vers les Caraïbes. Comme nos illustres prédécesseurs, notre objectif sera de partir à la découverte d’un territoire (presque) inconnu. Ce territoire à défricher, c’est l’humain. Parce que je suis intimement convaincu que les grandes explorations à venir portent sur les relations à l’autre et à soi-même. Sur la quête des clés de l’harmonie humaine, en somme. Au cours de notre expédition, nous irons donc à la rencontre de communautés d’hommes et de femmes qui vivent la différence au quotidien. Et qui, face aux problèmes qu’elle peut poser, témoignent d’un véritable esprit pionnier.
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Éric